La
croissance, ça se décrète ! Mais pour l'admettre, il faudrait s'affranchir tout
spécialement des théories monétaristes de l'inflation qui paralysent tout essor
économique. La pensée économique contemporaine, dominée par des théoriciens à
cent lieues des réalités de ce monde, est littéralement envahie par
l'inflation. On est en présence d'une erreur collective monumentale due à un syndrome
généralisé. Partout dans le monde on a réussi l'exploit insensé de vaincre
l'inflation par un sévère blocage du développement économique et social dont
l'emploi et le pouvoir d'achat font les frais.
Non, la
croissance ne relève pas de formules incantatoires ainsi qu'on pourrait fort
bien le croire si l'on en juge par les propos et l'attitude des spécialistes
lorsqu'ils sont en quête de reprise économique. La croissance n'est rien
d'autre que la différence existant entre les mesures d'activité de production
nationale de deux périodes successives, ayant pour unité de compte la monnaie.
Elle relève donc des mathématiques. La quantité de monnaie consacrée à
l'activité nationale varie naturellement d'une période à l'autre en fonction
d'une multitude d'éléments qui déterminent la conjoncture, mais c'est cette
quantité de monnaie qui fait la différence et qui oriente l'activité à la
hausse ou à la baisse. La maîtrise de cette masse monétaire conduit à la
maîtrise de l'économie nationale.
La
conjoncture n’est rien d’autre qu’une économie libérale livrée à l’influence
désordonnée, parce que non régulée, des facteurs endogènes opposés que sont l’épargne
et le crédit.
Il
existe une loi macroéconomique qui démontre que la sphère de l'activité de
production, dite sphère réelle, connaît l'expansion ou la récession selon
qu'elle est alimentée plus ou moins en monnaie. Dans la dynamique économique,
l'épargne joue le rôle du frein tandis que le crédit joue celui de
l'accélérateur, si bien que l'on passe de l'activité d'une période à celle de
l'autre par simple addition du crédit et soustraction de l'épargne, tous agents
confondus. La différence entre les deux activités, ou entre le crédit et
l'épargne, correspond très précisément à une création ou une destruction de monnaie,
selon qu'elle est positive ou négative. Et si l'on veut obtenir la croissance,
il ne reste qu'à éliminer l'érosion monétaire de ces deux facteurs.
Les
instituts de statistiques obtiennent en théorie le même résultat, mais
empruntant des voies beaucoup plus tortueuses où cohabitent difficilement
statistique et comptabilité, ils se privent de la clarté indispensable à une
bonne compréhension du phénomène et obtiennent en définitive un résultat faussé
par une méthodologie inadaptée. De plus, usant de son autorité tutélaire,
l'Etat y trouve son compte puisqu'il peut infléchir chaque fois qu'il le juge
nécessaire des résultats (croissance et inflation notamment) obtenus par une
approche statistique, que tous les experts s'accordent à qualifier d'approximatifs.
Non, il
n'y a pas de croissance sans monnaie et sans monnaie il n'y a pas d'inflation.
La monnaie nourrit à la fois la croissance et l'inflation, la première parce
qu'elle ne peut s'en passer et la deuxième parce qu'il y a longtemps que les
gens ont compris qu'il fallait augmenter les prix pour s'en accaparer les
fruits. C'est aussi simple que cela.
En
fait, la croissance et le chômage, on en parle beaucoup, mais on s'occupe
d'abord de la lutte contre l'inflation pour protéger le capitalisme monétaire,
et dans cette lutte perpétuelle, on a découvert un allié de poids par la
capacité étonnante qu'il possède à faire baisser les prix : le libre-échange.
D'où son succès. Mais, en pesant sur les prix il pèse tout autant sur les
revenus, et dans un environnement économique libéral, il avantage naturellement
les plus forts. C’est pourquoi le fossé qui sépare les nantis des démunis ne
cesse de s’agrandir. Aussi, comment avons-nous pu nous laisser prendre au piège
de la mondialisation ? Comment avons-nous pu nous laisser entraîner dans la
plus fantastique course aux chimères de tous les temps, que les progrès de la
communication ont étendu à la planète tout entière ?
C'est
d'abord un véritable défi lancé aux mathématiques : comment supposer un instant
qu'en agissant sur une fraction (le solde des échanges extérieurs) non
seulement variable en plus ou en moins, mais aussi tout au plus égale à 2 ou 3
centièmes, on allait obtenir la croissance de l'ensemble ? C'est ensuite
oublier que cet ensemble, c'est-à-dire le produit national (PIB), est
représenté pour près ou plus de 100% par la consommation et l'investissement,
les échanges extérieurs faisant la différence.
La
priorité des échanges doit être réservée à l’économie nationale : consommation
et investissement.
On ne
parle que de commerce international et de conquêtes de marchés à l'étranger,
sans jamais parler des conséquences de l'importation sur l'économie intérieure.
Personne ne semble connaître l'existence d'une loi fondamentale en matière
d'échanges internationaux : il n'y a pas d'exportateur dans un pays sans
un importateur dans un autre pays, ce qui veut dire qu’au niveau de la planète
les exportations sont égales par définition aux importations. On peut en
déduire sans risque d'erreur qu'il n'y a pas d'autre croissance qu'intérieure.
Les
statistiques, qui sont à la disposition de tout un chacun, montrent que sur
35 ans le développement du commerce international s'est traduit, dans tous
les pays de l'OCDE sans exception, par une hausse considérable (du simple au
double, voire au triple) de la part des exportations et de celle des
importations dans leur PIB, sans que pour autant le solde de ces échanges n'ait
dépassé, en plus ou en moins, plus de 3% dans la majorité des cas sur toute la
période. Seulement voilà, pour le savoir, il faudrait extraire des statistiques
d'autres informations que celles qui ne gênent personne ou qui flattent les
courants de la pensée à la mode.
Ce qui
est sûr, c'est que par l'interdépendance qu'elle a créée dans les échanges
entre les pays, la mondialisation a considérablement fragilisé nos économies
nationales. Comment ignorer ce que démontrent des événements encore tout
proches ? L'économie japonaise, déjà mal en point, a été terrassée par
l'effondrement de l'activité des pays asiatiques voisins, tandis que l'Europe
et les Etats-Unis ont été menacés à leur tour par la chute des économies
nipponne, russe et brésilienne. En étendant le libre-échange à la planète
entière, on a créé de nouvelles sources de désordre au détriment des économies
nationales et des populations.
Pendant
plusieurs années, des économistes français parmi les plus réputés se sont
élevés contre cette politique et en ont dénoncé les méfaits. Bien que les
statistiques leur aient donné raison, ils n’ont pas été écoutés. En fait, ils
ont prêché dans le plus grand désert parce qu'ils se sont heurtés à
l'aveuglement incommensurable d'une volonté politique qui a sacrifié l'intérêt
collectif sur l'autel de la mondialisation, véritable miroir aux alouettes !
La
compétitivité, fille naturelle de la concurrence, excitée au plus haut point
par le libre-échange, est devenue en période de ralentissement économique une
espèce de machine infernale à produire soit du chômage (Europe) soit des
salaires de misère (USA), soit les deux à la fois, mais conduisant de toute
façon à des pertes massives de pouvoir d'achat, surtout parmi les populations
laborieuses. C'est la politique sociale de l'emploi, dirigiste en Europe et
libérale aux Etats-Unis, qui fait la différence.
L’argument
largement employé pour faire admettre les bienfaits du libre-échange consiste à
dire que les premiers bénéficiaires des baisses de prix sont les consommateurs.
Mais ce que l’on oublie de dire, c’est que les prix faisant les revenus puisque
le produit national est égal au revenu national, les baisses de prix
conséquence de la concurrence entraînent mécaniquement des baisses de revenus.
Mais, pas pour tout le monde !
C’est
qu’en effet, les hommes politiques, les chefs d’entreprise et d’une manière
générale tous ceux qui ont le pouvoir de fixer les prix et ceux qui les servent
ne sont évidemment pas concernés par la baisse des revenus puisqu’ils sont les
premiers à se servir. Ceux-là et ceux-là seulement gagnent sur les deux
tableaux ! Leur pouvoir d’achat s’améliore à la fois par la hausse de leur
revenu et par la baisse de leurs dépenses.
Il
n'est donc pas surprenant de constater que ce sont les plus nombreux qui sont
les plus touchés, c'est-à-dire les revenus les moins élevés, ceux des masses laborieuses,
ce qui explique largement le creusement du fossé qui sépare à nouveau les
riches et les pauvres.
A quoi
cela sert-il d'offrir sur le marché des produits de consommation à des prix de
plus en plus bas s'il faut sacrifier pour y parvenir le pouvoir d’achat d’une
large partie de la population ainsi privée des ressources nécessaires pour se
les payer ?
Enfin,
si la mondialisation des échanges productifs s'avère incapable de conduire
l'ensemble des pays du monde vers le progrès, celle des échanges financiers
engendre par ses excès des effets beaucoup plus graves car elle crée de
dangereuses perturbations dans la sphère de l'activité de production. Pour
combattre l'inflation que l'on voit partout et favoriser la croissance que l'on
a toujours tendance à voir s’échapper, on fait appel aux capitaux étrangers. On
semble ignorer qu'un pays n'a aucun besoin de concours extérieurs, excepté si
sa balance commerciale est déficitaire.
Si les
entrées massives de capitaux dans un pays peuvent être utiles à son
développement, c'est indubitable, les sorties sont pour le moins dévastatrices,
ainsi qu'en témoignent les exemples successifs du Mexique, des pays
d’Extrême-Orient, de la Russie
et plus récemment du Brésil. On oublie tout simplement que les entrées de devises
ont pour effet de créer de la monnaie nationale, tandis que les sorties au
contraire ont pour effet de la détruire. Les sorties provoquent donc une sorte
de dépression monétaire interne dont les pays concernés ont bien du mal à se
remettre.
Sans
que l'on cherche véritablement à en mesurer les effets néfastes sur l'activité
de production, le secteur des placements financiers et de la spéculation
prospère outrageusement. Par des taux réels d'intérêt élevés, dans un
environnement où l'inflation est quasiment éliminée, ce secteur capte la
monnaie qui fait tant défaut à l'activité de production. Mais qui donc s'en
préoccupe ?
Comme
toujours la priorité est donnée à la protection du capital et dans ce domaine,
l'apanage revient sans nul doute aux gardiens du temple de la monnaie qui ont
réussi à élever des barrières pratiquement infranchissables, aidés en cela par
des tabous soigneusement entretenus dans l'opinion publique. On protège
le capitalisme monétaire contre toute atteinte extérieure et on dispose d'une
autre alliée avec la théorie quantitative de la monnaie.
Cette
théorie, qui définit le niveau des prix en fonction de la masse monétaire et de
sa vitesse de circulation, conserve une influence prépondérante sur la
politique monétaire des banquiers centraux qui n’ont rien d’autre pour
justifier leur lutte contre l’inflation. Principalement fondée sur des
situations de pénurie, elle a été généralisée aveuglément à toutes les
circonstances de la vie économique, alors qu'elle ne trouve pas à s'appliquer
en période d'abondance, même relative comme c'est le cas dans nos pays
industrialisés, lorsque l'appareil de production bien rôdé est capable de
répondre dans de très courts délais à la demande des agents économiques. On
semble oublier que c'est la rareté d'un produit qui fait son prix. Son succès
tient au fait qu'elle sert à nulle autre pareille le capitalisme monétaire dans
sa lutte perpétuelle contre l'inflation.
C'est
ainsi que s'est développé un syndrome, celui de l’inflation, qui a envahi petit
à petit le corps économique tout entier.
La
monnaie est le carburant de l’économie. Comme un moteur a besoin d’essence,
l’activité de production a besoin de monnaie pour marcher. Personne n'est
capable de dire quelle est la quantité de monnaie nécessaire à une économie
déterminée pour fonctionner. Personne ne sait ou ne veut savoir dans quelles
conditions précises s'opère l'émission monétaire et comment se mesure sa masse.
Aucun expert n'est capable d'expliquer les variations erratiques auxquelles elle
est sans cesse soumise. Personne ne connaît les rapports existant entre les
deux sphères d'activité (production et finance). Mais tout le monde est sûr que
la masse monétaire a un effet certain sur les prix, et seulement sur ceux de la
sphère réelle. C'est inouï !
Tout
d'abord, il est curieux de constater que dans la mesure de la masse monétaire,
on ne cherche pas à isoler les banques des établissements financiers, alors
qu'une différence fondamentale les oppose:
- les banques créent et détruisent de la monnaie dans toutes leurs
opérations avec le secteur non bancaire pour la bonne et simple raison qu'elles
ne disposent pas d'un compte en banque comme tout un chacun pour payer ou
encaisser,
- les établissements financiers, eux comme tout le monde, doivent
disposer d'un compte alimenté ou de lignes de crédit dûment autorisées pour
fonctionner,
ce qui
change tout dans la mesure de la masse monétaire en circulation.
Ensuite, on ne cherche
pas à savoir comment cette masse circule, car autrement on connaîtrait
l'existence de parkings monétaires, véritables capteurs d'épargne, et on
verrait que la monnaie ne circule pas du tout comme on le croit. En
banque, en effet, l'épargne ne circule pas pour la bonne raison qu’elle
n'a pas de contrepartie en monnaie ; elle en a déjà une à l'actif de son bilan
: ce sont notamment les crédits qu'elle a accordés. Dans un établissement
financier, il en va tout autrement précisément parce que celui-ci doit
disposer au préalable des fonds épargnés pour pouvoir les prêter. En banque,
l'épargne est morte. Dans un établissement financier, elle est vive ou active.
C'est toute la différence, elle est fondamentale.
La
monnaie scripturale ne quitte jamais les banques, lesquelles prises ensemble
n'ont aucun besoin de monnaie puisqu'elles la créent et la détruisent à
volonté, mais comme elle passe sans cesse d'une banque à l'autre on peut avoir
l'illusion qu'elle leur est nécessaire. Et les banquiers, pour la plupart, se
laissent prendre au piège, ce qui est un comble !
Et
puis, on est sûr que la masse monétaire est à l'origine de l'inflation des prix
dans la seule sphère réelle, alors que celle-ci n'a pas l'exclusivité de
l'émission de monnaie. On se garde bien de nous dire notamment que les crédits
accordés par le système bancaire sur les marchés à terme de bourse et de
change, conduisent à la multiplication des signes monétaires. Il y a donc bien
deux sources d'émission et par voie de conséquence deux masses qui obéissent à
des nécessités distinctes.
Enfin,
on ne cherche surtout pas à séparer les deux sphères d'activité pour ne pas
avoir à vérifier la théorie qui ne prévoit qu'une vitesse de circulation. La
sphère financière est en effet composée d'au moins deux flux monétaires
indépendants qui fonctionnent à leur vitesse propre. D'un côté les transactions
de l'activité de production, de l'autre celles de l'activité purement
financière, l'une et l'autre respectivement dans le rapport énorme de 1 à 40
environ, rapport qui n'a cessé de croître au cours des trois dernières décennies
avec l'arrivée des produits dérivés.
Quant
aux discours abstraits sur la dichotomie existant entre les deux sphères
d'activité, ils ne font qu'entretenir la confusion dans les esprits. Il existe
cependant un moyen simple de connaître, sans erreur possible, les relations
existant entre la sphère réelle et la sphère financière en s'inspirant des
méthodes comptables en usage dans les grands groupes. Par la consolidation des
comptes de résultat de toutes les entreprises on peut obtenir le produit
national et par celle de leurs comptes de bilan on peut disposer de son
financement. Mais cela conduirait à reconnaître le principe du financement de
l'activité nationale, là où il n'existe pas de théorie sur le sujet.
Ainsi, de
facto, la monnaie se trouve protégée dans l'enceinte d'une bastille qui ne
cesse de se fortifier. C'est qu'en effet, les banques centrales les unes après
les autres copient le modèle américain de la Fed, véritable centre du capitalisme mondial, et
acquièrent leur indépendance. Les gouvernements perdent ainsi tour à tour le
dernier lien d'autorité et en définitive le pouvoir absolu que donne la monnaie
sur l'économie d’un pays.
Si l'on
veut réellement régler, enfin et une fois pour toutes, le douloureux problème
du chômage et de la misère humaine, il est capital de se débarrasser des dogmes
monétaires et des tabous qui cernent la monnaie de toutes parts, et urgent de
remplacer le libre-échange, facteur de paralysie de l'économie, par la libre
concertation des échanges entre les pays, car la priorité des échanges
doit être réservée à l'économie nationale : consommation et investissement.
La
monnaie peut et doit devenir l'outil démocratique du développement du bien-être
des populations et non l'instrument de leurs souffrances. On pourra alors, et
alors seulement, choisir une autre politique économique que le capitalisme.
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